Hayao Miyazaki, Hideaki Anno et les studio Ghibli.

Du coup vu qu'il n'utilise pas Facebook, si vous aimez son article merci de commenter ici, ça lui fera drôlement plaisir.


Si l’annonce début septembre 2013 de la retraite d’Hayao Miyazaki a provoqué un certain émoi chez les lecteurs du quotidien Libération; elle n’a suscité qu’un bâillement d’ennui chez les cinéphiles qui suivent la carrière du réalisateur japonais depuis une paire d’années : en effet, l’évocation de son départ est un happening permanent chez lui, et telle une starlette en manque d’attention, il fait le coup à chaque sortie d’un de ses films depuis Princesse Mononoke (1997, donc).


Subséquemment, plus personne de censé n’accordait le moindre intérêt à ce genre de déclarations et il semblait entendu que le maître dirigerait le studio Ghibli et travaillerait sur sa planche à dessins jusqu’à sa mort. Pourtant, l’affaire est ici pour une fois sérieuse : cette annonce a été faite officiellement par le président du studio Ghibli dans le cadre de la Mostra de Venise où est projeté le dernier Miyazaki Le Vent Se Lève / Kaze Tachinu (sortie en juillet 2013 au Japon); et il semble acquis que le maître abandonne effectivement la réalisation. La nouvelle a cependant été nuancée tout de suite derrière puisqu’il a été précisé qu’il continuerait à participer à la production des longs métrages Ghibli et en particulier à leurs scénarios pendant une bonne dizaine d’années (comprendre jusqu’à sa mort, donc). Sacré Hayao, on ne se refait pas on dirait.



Quoiqu’il en soit, cette actualité remet sur le devant de la scène une question primordiale : celle de la succession de Miyazaki et de l’avenir du studio Ghibli (son autre moteur créatif historique, le vénérable Isao Takahata, n’étant plus non plus dans sa prime jeunesse). Cela fait en effet quelques temps déjà que Miyazaki se cherche un « héritier », et cette démarche est pour l’instant infructueuse. Elle a même été jalonnée de drames et de psychodrames. Pour le drame on citera Yoshifumi Kondo, le réalisateur de Si tu Tends L'Oreille (1995).



Convaincu de son aptitude à assurer sa relève, Hayao Miyazaki a par le passé déjà tenté de se retirer et il lui aurait bel et bien laissé la direction du studio sous le patronage de Isao Takahata ; mais Kondo a eu la mauvaise idée de décéder une semaine seulement après le premier départ du maître (Miyazaki quitte Ghibli le 14 janvier 1998, Kondo trépasse le 21) ! Au bout d’un an de flottement, Miyazaki se résoudra à revenir pour reprendre les rennes du studio (janvier 1999). La première « retraite » de Miayasaki n’aura donc été qu’une parenthèse d’un an… Pour le psychodrame, il faut évoquer les brimades subies par Goro Miayazaki, le fils d’Hayao, qui a été mis en avant en étant bombardé à la réalisation des Contes De Terremer (2006) et de La Colline Aux Coquelicots (2011), deux longs métrages plus que corrects, qui sans inciter à crier au génie valent le visionnage.


Goro aurait peut être pu s’épanouir si quelqu’un ne lui avait pas mis des bâtons dans les roues en se permettant de reprendre sans ménagement son travail et en déclarant publiquement à son sujet à qui voulait l’entendre qu’il ne suffisait pas de « vouloir pour pouvoir », une élégante façon de faire savoir que Goro était peut être un bon jeune plein de bonne volonté et âpre à la tâche, mais qu’on n’en ferait jamais un cheval de course. Vous l’avez deviné, le fâcheux en question n’était autre que Hayao Miyazaki, ce qui permet du coup de parler de psychodrame, familial de surcroît. Ce vaudeville Shakespearien est certes rigolo (l’acariâtre Hayao ayant poussé l’affront jusqu’à se barrer au bout d’une heure de la première projection de présentation des Contes De Terremer), mais ne résout pas le problème : quel successeur pour Hayao Miyazaki ?



Il n’y a en réalité pas besoin de chercher bien loin puisqu’il suffit de parcourir sa biographie pour trouver la réponse, évidente et, après réflexion, enthousiasmante…En effet, les éléments de la carrière de Miyazaki permettent de dégager des points de convergence avec celle d’un autre maître de l’animation japonaise : Hideaki Anno. Et la première de ces correspondances est d’importance, puisque le premier jalon notable de la carrière de Anno est sa contribution en 1984 à Nausicaä De La Vallée Du Vent.



 La manière dont il est arrivé sur le chef d’œuvre matriciel de Miyazaki est abracadabrante : pris à la gorge par les impératifs de production, Miyazaki a cherché tout azimut du renfort et en a été rendu à faire un appel à candidatures dans le magazine Animage. C’est suite à cette démarche pour le moins cavalière que Anno s’est présenté à lui. Anno a tellement convaincu son aîné qu’il a été chargé d’animer rien de moins que la scène du réveil du Géant de Feu. La légende raconte que Miyazaki aurait laissé une totale autonomie au jeune prodige, se contentant de valider sans sourciller le résultat final (on est loin de la relation de travail qu’il aura plus tard avec son fils Goro où, méfiant à propos de ses capacités, il lui tiendra littéralement le crayon). Les fans de Anno comprendront aisément en quoi cette expérience a certainement dû être primordiale pour lui, et on verra en guise de conclusion comment le parallèle entre les Géants de Feu de Nausicaä et les Anges d’Evangelion permet de tirer un trait d’union fondamental entre Miyazaki et Anno.



Bien sûr, Hideaki Anno développera par la suite sa propre carrière (assurément une des plus marquantes dans le panthéon des maîtres de la japanimation et une des plus importantes en terme d’apports créatifs) mais on continuera à constater comment les carrières des deux réalisateurs se croisent : une des grandes séries télé réalisées par Hideaki Anno, Nadia, Le Secret De L’Eau Bleu (1990), une odyssée steampunk qui part de tribulations dignes de Jules Verne pour arriver à une Apocalypse Atlante, est à la base un projet dont le développement a été initié (sans se concrétiser) par Miyazaki et qui a été repris plus tard par Anno pour le compte du studio Gainax. A l’occasion d’une exposition autour du film Laputa de Miyazaki, Anno a également réalisé en 2002 un court métrage pour le studio Ghibli. Un peu comme si une relation père-fils spirituels se consolidait à distance, par la force des choses.


Il est alors amusant de constater que leurs œuvres respectives sont si différentes en apparence. On peut certes y trouver des points communs (le goût pour la science fiction, en particulier pour la branche steampunk ; la thématique du géant destructeur apocalyptique également) mais ils restent trop anecdotiques pour y voir une réelle concordance thématique qui expliquerait le lien qui, à l’ évidence les unit pourtant. Après réflexion, on ne s’étonnera pas vraiment de ce genre jumelage improbable entre deux artistes que tout semble séparer car l’histoire de la japanimation est coutumière du fait. Ainsi, l’éternel rebelle Katsuhiro Otomo a coréalisé Metropolis avec le très respecté Rintaro ; l’esthète fou furieux adepte du mouvement permanent Yoshiaki Kawajiri a adapté X, summun des coquetteries eschathogiques et contemplatives des midinettes de Clamp ; et Mamoru Oshii, le poète porté sur l’introspection onirico psychanalytique, s’est mis au service des obsessions cyberpunk et politico militariste de Masamune Shirow (Ghost In The Shell) ou des fantaisies jusqu’au boutistes de la très rigolote Rumiko Takahashi (le film Lamu Beautiful Dreamer, une pépite incontournable pour tout amateur de cinéma déjanté). A chaque fois, ces associations apparemment « contre nature » donnent des résultats plus que convaincants dont certains ne sont pas loin d’être des monuments historiques de la japanimation (le chef d’œuvre Metropolis, par exemple, où Otomo et Rintaro paient leurs dettes vis-à-vis du Dieu Mangaka Osamu Tezuka – mais dans le monde du manga et de la japanimation, ils ont de toute façon toutes et tous une dette envers lui…)

Le sublime Metropolis

Il n’y pas de lieu donc de douter du potentiel d’un lignage Miyazaki-Anno surtout quand on connait le respect mutuel que se portent les deux hommes : qu’Hideaki Anno admire Hayao Miyazaki  n’est guère surprenant, mais que l’aîné ne tarisse pas d’éloge à propos du second est un signal fort et riche de significations : de là à en voir une intention qui va dans le sens d’un adoubement d’Hideaki Anno à la tête du studio Ghibli il n’y a qu’un pas, que les événements récents semblent valider…



Ainsi, on a eu dernièrement les deux plus belles preuves de cette démarche de passation. Hideaki Annoa réalisé en 2012 pour le studio Ghibli un stupéfiant court métrage « live » (en prise de vue réelle donc et non pas animé) intitulé Kyoshinhei Tôkyô ni Arawaru qui fait de manière définitive le lien entre ses Anges (Evangelion) et les Géant de Feu de Miyazaki (on rappelle que Anno les a symboliquement « fait naître » en animant le réveil de l’un d’eux lors de la production de Nausicaä De La Vallée Du Vent). Dans Kyoshinhei Tôkyô ni Arawaru, la fluidité et l’évidence de la fusion des deux univers fonctionnent au-delà de toute attente : le court métrage est monumental et ultra cohérent.






 Autre symbole signifiant, Miyazaki a confié à Anno le soin de doubler le personnage principal de sa prochaine et dernière réalisation, Le Vent Se Lève, un ingénieur passionné par le design d’avions (Jiro Horikoshi, qui a vraiment existé : c’est le créateur des fameux avions « zéro » de la deuxième guerre mondiale). Décrit ainsi, Jiro ressemble évidemment beaucoup à un avatar fictionnel de Miyazaki lui-même, et le fait qu’il laisse à Hideaki Anno le soin de l’incarner se passe de commentaire.


Aucune raison donc de s’inquiéter de l’avenir du studio Ghibli dans l’hypothèse d’une relève par Anno 
quand on voit comme Miyazaki valide à l’évidence sans réserve cette option de succession. Certes Anno est quasiment diamétralement opposé à Miyazaki dans ses approches et ses thématiques (introspection au lieu d’ouverture vers le monde, approche dépressive et névrosée au lieu d’optimisme volontariste, formalisme tendant vers le fan service au lieu de rigueur naturaliste, etc…) mais le jeu des prospectives sur les possibilités des apports de Anno est exaltant. Comme contribution de sa part à la filmographie du studio Ghibli, on parle notamment d’une suite à Nausicaä. Cette rumeur est certes hypothétique, mais laisse envisager des orientations furieusement iconoclastes : avec Anno, Nausicaä va-t-elle se retrouver sur un divan de psychanalyste ? Vivement !

Hayao Miyazaki et Hideaki Anno


Note de papacube :

Voilà, si l'article vous a plu ou si vous avez des trucs intéressants ou stupides à raconter, n'hésitez pas, les commentaires sont là pour ça. Ça motivera peut-être mon frère à en écrire d'autres et je pourrais glander bien peinard pendant qu'il bosse. Merci d'avance !





Commentaires

  1. je n'ai jamais commenté ici mais je le fais aujourd'hui pour soutenir tontoncube afin qu'il écrive d'autres articles surtout si ceux là parlent de ghibli...en grande fan que je suis.

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  2. Bonjour,

    Merci beaucoup pour ces explications, c'est très intéressant. Croisons les doigts que la succession se passe comme ça.

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  3. Article très intéressant, MERCI Tonton Cube, au plaisir de te relire, mais arrête de laisser ton frère gribouiller tes billets dans ton dos, aussi incorrigible que talentueux celui-la !!!
    (commentaire pas très constructif mais qui a le mérite d'être là quand même ^^)

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  4. moi j'ai un souci ma fiile s'exclame PAPAAAAAA devant le photo Hideaki Anno ^^ Sinon plus serieusement fan de ghibli et merci pour ce retour en enfance avec "nadia et le secret de l'eau bleu"

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  5. A part quelques gribouillis - probablement commis par les cubes elles mêmes - tu as fait de très jolis dessins, on dirait du Ghibli :p

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  6. Pas mal l article. J ai pris qu un doliprane ;)

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  7. Coucou,
    C'est un article très bien documenté, joliment tourné et que j'ai lu avec plaisir.
    Bravo Tontoncube ;)

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  8. Article des plus intéressants que je vais me hâter de partager afin de faire connaitre Tontoncube à tous les fans de Miyazaki que je côtoie chaque jour. Bonne continuation ^^

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  9. Hmmmmm pourquoi un seul successeur ? je ne parle pas du côté reprise de la grosse boîte de prod qu'est Ghibli mais plutôt dans le sens qu'un maître peut avoir plusieurs disciples et ainsi avoir plusieurs successeurs ;-) Et si leurs talents ne sont pas les mêmes, c'est encore mieux :-p A bientôt TontonCube :-)

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  10. TontonCube President !

    Sinon, y'a une rumeur qui dit que vous devriez prendre le train pour Lyon et venir me voir pour l'occas...
    http://www.leprogres.fr/art-et-culture/2013/09/07/tarantino-belmondo-miyazaki-la-triplette-de-choc-du-festival-lumiere

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  11. TontonCube il est calé sur le sujet on dirait! bravo!

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  12. Très chouette article et collaboration des deux frangins, tontoncube on espère que tu reviendras nous apprendre des trucs

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  13. bravo à tontoncube je partage j'en connais pas mal qui seront intéressés ;)

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  14. Travaillant en médiathèque, secteur vidéo, les studios Ghibli sont forcément souvent à l'honneur auprès des petits mais aussi (surtout des plus grands). Évidemment comme toute bibliothèque qui se respecte nous possédons un portail documentaire (nom barbare de notre site) et je me dis que c'est EXACTEMENT le type d'article que j'aimerais pouvoir mettre en ligne (en plus court peut être) pour ensuite introduire les documents dont nous disposons sur le réseau. Très beau travail merci.

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  15. il faut s'accrocher mais l'article est super et je suis bien conyente de lire enfin un "véritable" article sur le sujet :(
    Merci TontonCube :))

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  16. Ah bah oui ! Bravo aux FranginsCube pour ce bel article !

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  17. Tonton cube a tout compris ^^
    Je lui propose un prochaine article : "space cruiser Yamato, le mythe fondateur ! " ^___-

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  18. Très bon article.
    Et surtout, j'ADORE vraiment les illustrations ("tu es le fils que j'ai vraiment voulu avoir"), c'est tout bonnement énorme, j'étais pliée de rire !

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  19. Merci tontoncube !
    grace à toi j'ai retrouvé ce film, "si tu tends l'oreille" , que je désespérais de voir dans une version que je comprenne. bah oui, la première fois que je l'ai vu, c'est dans une famille qui le visionnait en vietnamien :)

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  20. Tonton CUBE!!!!!!!!!!!!!

    Super article, ravie je suis... Un autre! J'adorerais pouvoir lire un bon article sur tout ce qu'a fait Myazaki , avec une liste, des conseils... Bref, un oeil expert! :D

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  21. Ouah, papa cube a un frère qui dit "subséquemment"!!!
    (tu as dit qu'on pouvait commenter avec des trucs stupides :-))

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  22. Bravo à tonton cube qui signe un très bel article, avec une jolie plume et un enthousiasme qui se ressent.

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  23. Quelqu'un qui sait utiliser "Subséquemment" à bon escient a de fait mon approbation de lectrice ;-)
    Concernant Miyazaki j'ai appris plein de chose avec ce billet.
    Belle paire de frangins !

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  24. Merci TontonCube! C'était très intéressant et instructif!
    Continuez comme ça, les frangins Cube!

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  25. Merci pour cet article clair et - je pense- complet sur le sujet. Pour la néophyte que je suis - et néanmoins fan du studio Ghibi - j'en sais un peu plus désormais. Merci Tonton Cube !

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  26. Eh ben moi je ne traîne pas souvent mes guêtres dans le coin, mais j'ai beaucoup aimé cet article instructif et amusant ! Et je me coucherai moins bête ce soir, ce qui n'est pas toujours le cas ...
    Merci TontonCube, et merci PapaCube ... quelle famille !

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  27. Super intéressant TontonCube !

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  28. C'est vraiment un très bon article, quel dommage que je le lise juste après avoir publié le mien sur le futur du Studio Ghibli (http://lilie-in-the-cloud.blogspot.fr/2014/01/le-futur-du-studio-ghibli.html), je vais intégrer un lien vers cet article dans mon article si ça ne te dérange pas car il explique vraiment tout de manière claire :)

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  29. Bonjour, j'ai lu avec beaucoup de plaisir cet article, félicitations.
    Cependant, il me semble que la recherche du successeur de Miyazaki au sein du studio est plutôt une prérogative de Toshio Suzuki le producteur du studio, et véritable "tête" du studio (puisqu'il accompagne tous les réalisateurs dans la production de leur film).

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  30. Je valide le TontonCube !!! Je suis une nouvelle lectrice, SANS enfants, du coup, en plus de changer le point de vue et le ton, ses articles me redonnent une bouffée d' "air adulte", qui me permet ensuite de me replonger dans toutes ces histoires d'enfants et d'objets hors budget. Je me rends compte que dit comme ça, on dirait que je dénigre le reste du blog. Ce n'est pas le cas, hein ! Sinon je ne serais jamais arrivée jusqu'à cet article ! ^^

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  31. C'est du non boulot! Bravo Éric!

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