La Reine des Neiges / Frozen, l'avis de TontonCube

Après avoir écrit un formidable article sur Hayao Miyazaki, Hideaki Anno et les studio Ghibli, mon frère (TontonCube) va nous parler aujourd'hui du tout dernier Disney, La Reine des Neiges. J'avais déjà fait un billet surtout axé sur la forme, mon frère va donc vous parler maintenant du fond. Youpi !

Avertissement : le texte qui suit expose des éléments cruciaux de l’intrigue du film.

Du « development hell » (comme son nom l’indique, la phase qui précède la validation par les studios du lancement de la production) à la production effective, l’élaboration d’un film est une démarche délicate et complexe qui s’étale sur plusieurs années, voire sur des décennies comme dans certains cas d’école. Papacube a ainsi détaillé dans un précédent billet les étapes mouvementées de la genèse de La Reine Des Neiges. Maintenant que le dernier Disney est sorti en salle, il est temps de juger sur pièce et d’analyser le produit fini, surtout une fois constatée au visionnage sa flamboyante richesse.

Disons le tout de go : avec La Reine Des Neiges les gars de la Disney ont réussi à reconduire le miracle Raiponce ; en se renouvelant comme il faut de surcroît. Or donc, le film propose toujours une modernisation de la tradition du dessin animée de conte de fée même si contrairement à l'irrésistible ambiance de fantaisie adolescente de mise dans Raiponce, on est plus ici dans l'aller retour entre un parti pris plus sombre (l'intro magnifique de noirceur dramatique, la déconstruction de certaines figures comme le prince charmant, les enjeux et les motivations des personnages) et des séquences enfantines (Olaf le bonhomme de neige, les trolls rigolos et gentils). On peut estimer à première vue que les chansons sont moins immédiatement réussies que dans Raiponce mais elles restent malgré tout enthousiasmantes et gagnent assurément à être réécoutées en boucle. Celle de Elsa qui se révèle et se libère d'elle même en édifiant sa forteresse de glace (de solitude ?) est par exemple anthologique et au-delà d’un simple habillage musical permet d’exposer de manière dynamique le signifiant profond d’une des plus belle scène qu'on pourra voir au ciné cette année (et c'est une fois de plus dans un dessin animé qu'on en trouve une : souvenons nous que c'était déjà le cas en en 2012 avec la séquence de cirque de Londres dans Madagascar 3 : Bons Baisers d'Europe).


Étant donné que les deux films ont été réalisé par la même équipe de production (même si il y a quelques changements, notamment à la musique), on peut émettre quelques réserves au sujet de La Reine des Neiges quand on le compare à Raiponce. Alors que le précédent film participe de la perfection (rythme trépidant qui ne faiblit jamais durant tout le métrage, personnages tous plus réussis les un que les autres, réussite flamboyante du projet de modernisation du dessin animé de contes de fées tout en restant dans la tradition "Disney", chansons toutes anthologiques) ; celui là accuse un manque de rythme dans son deuxième tiers (qui en guise d'action et de narration propose une simple "promenade" vers la forteresse de glace d'Elsa) et souffre de quelques scories (Olaf le bonhomme de neige peut agacer même si il a cependant pour lui de bien remplir son rôle "d'ami des enfants" ; la deuxième scène avec les gentils trolls qui n'est qu'une redite paresseuse de la première) mais au final, le bilan reste extrêmement enthousiasmant : sans discussion, on est en face d'un film hautement fréquentable, beau à se pâmer et à recommander sans hésitation. Les spectateurs, quelque soit leur âge, sortiront de la salle ravis d'avoir vu un spectacle éblouissant au service d'une histoire émouvante et profonde d'une intelligence peu commune (la subtilité du positionnement "féministe" du binôme Elsa/Anna enterre sans problème les habituelles âneries partisanes qu'on peut nous servir sur le sujet). Et par contre, La Reine de Neiges est assurément supérieur à Raiponce en terme de direction artistique, ce qui donne la mesure de la beauté du film qui paie notamment sa 3D de malade : grâce à des « mouvements de caméra » inspirés et virtuoses, on a souvent l’impression de naviguer au cœur d’un magnifique diaporama, avec une manière de rendu « holographique » du meilleur effet. La scène où Elsa la Vierge Froide se transforme en Femme Fatale (rien qu'en dénouant sa chevelure!) est par exemple un morceau de bravoure instantanément culte à la beauté terrassante : elle y explose de féminité triomphante en chantant la magnifique chanson Libérée, délivrée; et ce jalon scénaristique de l’évolution du personnage se fait, cohérence oblige, en parallèle avec l’érection de sa magnifique forteresse de glaces. Une scène apte à fédérer les esthètes cinéphiles et le public cible, celui des fillettes exaltées (qui, dans le domaine du féminisme incarné, trouveront là un « modèle » autrement plus inspirant que les tristes et consternants référents du réels du style Inna Shevchenko).


Plus sérieusement, cette scène est emblématique d’une très intéressante proposition féministe qui n'est pas dogmatique ou péniblement "politique" mais qui s’inscrit dans une émouvante et instinctive problématique intimiste voire charnelle ; Elsa étant confronté à la difficulté d'évoluer en Femme et en Reine (bien sûr sous prétexte d'autres enjeux métaphoriques tournant autour de ses pouvoirs et du fait de les accepter, de les assumer et de les contrôler). De plus, un degré de finesse supplémentaire est développé dans cette optique puisque cet enjeu est évidemment partagé entre Elsa (le personnage « principal » du film, malgré son temps de présence moindre dans le métrage) et sa sœur Anna (dont la caractérisation est une intéressante variation de celle de Raiponce) qui sert à porter le fil narratif du film mais qui permet aussi de développer une autre facette du sujet (volontariste, optimiste et pleine d’entrain). Sororité, féminisme subtil et complémentarité : prend ça, Pixar ; et que retourne chez sa mère Merida la « rebelle » de pacotille.



Pour souligner la subtilité de la chose, on notera qu’un fois éprouvée l’exaltation libératrice de ce rite de passage, Elsa reviendra à un confrontation plus pragmatique avec le réel (rappelé par son ange gardien Anna) qui tempèrera cette douce « folie » et lui permettra de concilier l’acceptation de sa vrai nature de Reine Des Neiges avec les obligations du concret (en premier lieu, accepter d’être à la fois Femme Reine et Femme Sorcière sans avoir ni peur de ses responsabilités ni honte de son individualité toutes deux hors norme).

Papacube me faisait aussi remarquer tantôt que Elsa D’Arendelle est probablement le personnage le plus puissant de l’univers Disney. Ses supers-pouvoirs la catégoriseraient presque comme une « super héroine », et c’est sans aucun doute l’idée que veulent faire passer ses créateurs lorsqu’il la montre effrayée par ses propres pouvoirs s’exiler loin des humains pour créer une forteresse de glaces dans son « royaume de solitude » (pour reprendre ses termes).

La forteresse de superman et celle d' Elsa
La référence appuyé à Superman est transparente : le Kryptonien fait de même (pour plus ou moins les mêmes raisons puisqu’il est également perturbé par l’acceptation de sa nature) pour ériger sa Forteresse de Solitude dans l’arctique glacé.



 De manière moins évidente (la référence est par contre là évidemment extrapolée), on peut aussi s’amuser à noter des convergences de caractérisation et de cheminement entre Elsa et Tetsuo Shima du film A K I R A (même si heureusement pour la Reine des glaces elle sera moins torturée, rebelle et jusqu’au boutiste ; et que le dénouement sera moins apocalyptique et nihiliste pour elle que pour son cousin tokyoïte).


Les affres d’une longue production pour un film de cette ampleur impliquent forcément les apports consécutifs de multiples artistes, techniciens, décideurs. Du coup, et c’est normal, le résultat final d’une telle entreprise culturelle sera forcément fort éloigné des intentions initiales. Ainsi, des choix sont faits parfois sous la forme de modifications majeures. Par exemple, il était prévu au départ que ce soit Anna la grande sœur ; on peut aussi souligner que d'après certaines rumeurs très crédibles la trahison de Hans n’a apparemment été incorporée dans le scénario que dans une phase très avancée de la production (il devait initialement rester le prince charmant d’Anna sans se révéler en cynique manipulateur à la manière de Mère Gothel dans Raiponce). De manière encore plus triviale, il n’aurait pas été surprenant que Elsa soit la « méchante » du film avant un final en forme de rédemption et de réconciliation.


Toutes ces possibilités induites dans le sujet et mises en perspective avec le résultat final montrent la richesse du film et la subtilité qui en est ressortie, puisque La Reine De Neiges surprend et ne choisit pas toujours la facilité (le traitement retenu pour le personnage de Elsa, qui s’interdit tout manichéisme et tout moralisme mais s’inscrit dans un féminisme « individualisé », n’était certes pas le plus simple à développer). En guise d’illustration de cette thèse, un essai de la production pour la confrontation chantée entre Anna et Elsa dans la forteresse des glaces, auquel a finalement été préférée la reprise à 2 de For The First Time In Forever , montre bien les différentes possibilités expérimentées par les scénaristes. Ici les soeurs se battent en chanson et les mots et les reproches blessent encore plus que des coups dans le cadre d’une relation est ouvertement conflictuelle : on ne retrouvera pas cette option dans le film au final.


Le dyptique que forment Raiponce et La Reine Des Neiges écrit donc une de plus belle page du studio Disney : les films proposés sont immédiatement flamboyants, impriment de leur maestria formelle la rétine et marquent les esprits par la richesse, l’intelligence et la subtilité de leurs propos. Les parents cinéphiles y trouveront là des œuvres mémorables et les enfants des modèles qui les accompagneront longtemps. Chapeau bas au souriceau de Burbank qui concrétise ici le paradoxal et délicat miracle du cinéma : mettre l’industrie au service de l’Art.


Commentaires

  1. Oh purée, Tonton Cube, il parle vachement beaucoup !

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  2. Oui, mais avec les top dessins de papacube ça glisse tout seul !! Libéréééééééééeeeeeeeeeeee, Délivréééééééééééeeeeeeeeee !!!!

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  3. "Plus sérieusement, cette scène est emblématique d’une très intéressante proposition féministe qui n'est pas dogmatique ou péniblement "politique" mais qui s’inscrit dans une émouvante et instinctive problématique intimiste voire charnelle"...
    C'est vrai qu'il parle bien : *rien compris à ce passage...* XD

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  4. Non mais ya pas à dire...ce tonton Cube envoie du bois.
    Merveilleuse et très juste analyse de ce superbe Reine des Neiges.

    Libéréeeeeeee. .
    Délivréeeeeeeee.

    Merci merci.
    Mon café matinal fut enrichi.

    Bises au frangin

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  5. Super article qui nous apprend en plus plein de trucs sur ce qu'aurait pu être le film en plus de l'analyse des différentes symboliques. Perso j'ai adoooooooooré la comparaison avec la forteresse de Superman que je trouve très juste (je suis une superman's addict depuis l'enfance). Tontoncube tu reviens bientôt ?

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  6. C'est marrant cette passion commune chez les cubes !
    Le texte de Tonton Cube agrémenté des dessins de Papa Cube c'est top.
    Bécots les frangins

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  7. Comme je ne l'ai pas vu, je ne peux pas vraiment donner d'avis, mais il y a une seule chose que je regrette : j'ai l'impression qu'à part le titre et le palais de glace, il n'y a aucun rapport avec le conte d'Andersen ? Cela n'enlève rien à la qualité du film, mais je trouve dommage que Disney n'ait pas tenté une interprétation du conte, que j'ai toujours trouvé très intéressant, aussi bien dans sa symbolique (le rapport adulte/enfant, la glace entrée dans le coeur, le parcours initiatique d'Anna) que dans son esthétique d'ensemble, toute en distances, avec ce personnage de la reine des Neiges qui appartient plus au monde minéral qu'à celui des humains.
    Enfin, j'ai hâte de voir ce film tout de même !

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  8. levasseur virginie20 décembre 2013 à 09:47

    J'ai pas dû voir le même dessin animé (ou alors disons plutôt que je me pose bien moins de question peut être? ;-) ) mais vu que je l'ai adoré, soit c'est juste génial soit je suis un mouton...
    En tout cas tontoncube a une sacré plume aussi, je confirme!

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  9. Je suis bien d'accord pour la "promenade", il y a eu quelques moments moins mouvementés.
    Mais au final l'ensemble est magique ! Et pour des gens comme nous, moins expérimenté dans le domaine, je trouve effectivement ce film "beau à se pâmer". J'aime beaucoup cette analyse poussée dans le détail et qui va dans le fond des choses :)

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  10. Superbe article, très riche et agréable.
    Merci les frangins Cube !

    En dehors de ça, je suis la rabat-joie pas vraiment d'accord.
    Je trouve Raiponce bien plus abouti que La Reine des Neiges en termes de rythme, de discours et de scénario.
    La libération féministe d'Elsa, les super pouvoirs, c'est génial.
    Mais tout ça pour terminer, bien gentille dans le village, à faire des décos de Noël pour les enfants, franchement...
    Et bonjour le revirement Baguette-magique-je-tire-un-lapin-du-chapeau : "Mais oui, c'est ça, l'amour!", on a déjà vu mieux comme rebondissement narratif.
    Sans parler du fait que si on peut perdre la confiance d'un peuple entier en 30 secondes, on ne peut pas la regagner dans le même temps record. Donc les villageois qui retournent leur veste et célèbrent à nouveau leur reine comme si de rien n'était, je trouve la couleuvre difficile à avaler.

    Quant à Anna, Disney ne sort pas de son typique "belle ingénue". Ca fait des décennies qu'ils nous la font, moi, perso, j'en ai ma claque.
    Sans les mecs, Anna ne fait pas grand chose quand même. Que ce soit Hans ou Kristoff, c'est eux qui à chaque fois la tirent de ses mauvais pas (contrairement à Raiponce par exemple qui est beaucoup plus décisionnaire de son aventure).
    Et autant l'inconstance féminine était traitée très justement dans Il était une fois, autant là, il faut 1min30 top chrono à Anna pour changer d'avis et se dire qu'en fait, elle aime Kristoff.
    Et encore ! Elle ne le fait que parce que 1-elle vient de se faire larguer, 2-grâce à Olaf, le bonhomme de neige, elle se rend compte qu'elle a besoin de lui pour rompre la malédiction...

    Enfin.
    En dehors de ça, visuellement, le film est une grosse claque et j'ai conscience que malgré ses nombreuses imperfections, il parle à tout le monde et notamment aux petites filles.
    Donc, je n'irai pas non plus cracher dans la soupe.
    C'est juste que quand on me parle de chef d’œuvre, je m'étrangle un peu.
    Sur la simple thématique féministe, on est loin d'une Nausicaa, d'une Mononoké ou d'une Mamie Sophie !

    Voili.
    J'arrête de râler.
    Vivement ton prochain article Tonton Cube, quoiqu'il arrive, ça donne à réfléchir !

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  11. Ce matin j'ai lu votre article commun avec ma fille sur les genoux, le casque sur les oreilles de la dite fille, et j'ai pu entendre 'goooooo' 'goooooo' entre deux gorgées de biberon de lait. Donc merci :)

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  12. superbe analyse ! sinon plus simplement un très beau disney qui renoue avec le conte et des images magnifiques un bon moment à partager avec ses enfants. J'aurais aimé lire une si bonne critique dans la presse bravo

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  13. Et sinon, tonton cube, il est célibataire ? XD

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  14. Je pourrais utiliser votre parodie de Hans sur Disney Central Plazza, car il y a là un membre qui adore Hans?

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